Pic ©Pascale Cholette
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On a vraiment commencé à écouter The Feeling Of Love à partir de leur dernier album, "Dissolve Me" (Born Bad / Kill Shaman), et ils sont devenus passionnant. Avec une discographie qui devient au fur et à mesure culte, le projet que Guillaume Marietta avait commencé en solo il y a quelques années (après les débuts avec AH Kraken) a constamment évolué et trouve aujourd’hui, à notre goût, sa forme idéale, que ce soit sur album mais aussi lors de leurs lives fameux et puissants. Le trio va bientôt passer à quatre et on attend avec impatience de voir la nouvelle formation à l’œuvre. Ils vont bientôt sortir leur nouvel album intitulé "Reward Your Grace" (Born Bad Records) pour lequel ils ont notamment pu expérimenter en studio. Ce sera à coup sur l’un des moments forts de l’année et voici un premier extrait "Julee Cruise":
Les messins seront aussi en concert sur de beaux événements de ce début d’année 2013, le 26/01 au Festival Mo’Fo 2013 à Mains d’Oeuvres et le 16/02 à la Route du Rock Hiver (St Malo) entre autres.
Cette interview a été réalisée le 10 décembre dernier au Point FMR et fait partie d’un feuilleton en 3 parties. Ce soir là, Feeling of Love jouait avec White Fence. Ce fut d’ailleurs l’une des meilleurs soirées/concerts de 2012. On a eu la possibilité de rencontrer tous les protagonistes, d’abord seuls et à travers une interview croisée. Vous trouverez le lien de la deuxième partie ici et celui de la troisième ici.
On commence par notre rencontre avec Guillaume, The Feeling Of Love.
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x Alors, le nouvel / prochain album, Reward Your Grace?
Guillaume : (réfléchis), et bien JB de Born Bad, quand il l’a écouté, a dit que c’était quelque chose de plus posé, assez lumineux, moins dark par rapport aux précédents.
Il n’a pas tort, effectivement les compositions sont un peu plus pop, on se rapproche plus du format chanson. Le gros changement également est que j’ai arrêté de jouer en open tuning. J’ai donc un accordage classique maintenant et ça me permet d’avoir des chansons un peu plus travaillées, avec plus de changement d’accords… C’était quelque chose qu’on avait en tête depuis un moment, faire plus des « chansons ».
Alors qu’au tout début, c’était l’opposé. J’étais vraiment dans une démarche anti chanson. Je ne voulais pas de couplets, je ne voulais pas de refrains, pas trop de riffs accrocheurs. Alors que là, au contraire, on fait des choses plus « classiques ».
x Est-ce qu’il y a un thème qui en ressort? J’avais lu que vos précédents albums évoquaient (entre autres) la frustration sexuelle pour Petite tu es un hit, la soumission et la mort pour Ok Judge Revival et la mort et la disparition pour Dissolve Me.
G : C’est difficile, là, de sortir un thème. C’est plutôt avec le recul que je vois les choses. Mais c’est grosso modo toujours un peu les mêmes dans le sens où cela parle toujours d’amour de manière générale.
J’ai une manière d’en parler qui se focalise plus sur les frustrations, les déceptions, les choses comme ça que ça peut amener.
Je suis aussi assez hanté par la mort, c’est pour ça que je fais de la musique.
Quand tout à l’heure tu demandais pourquoi je faisais plein de trucs, c’est parce que en étant réactif ça me donne l’impression d’exister. Et sortir des disques, c’est une espèce de preuve matérielle de ton existence…
C’est juste parce que je flippe en fait. Si un jour je meurs, voilà, il y aura toujours ça qui va rester au cas où.
Et depuis que Dissolve Me est sorti, je suis devenu père, j’ai eu une petite fille… donc ça m’a forcément aussi changé.
x ça a une influence ?
G : Et bien JB trouvait que ça se ressentait, ça aussi. Il a d’ailleurs aussi eu un enfant entre temps. Je ne sais pas comment ça m’influence mais il y a peut être effectivement un aspect plus combatif sur le disque.
x Du fait de devoir élever un enfant ?
G : Peut être, après je n’ai pas non plus envie de faire de la psychologie du genre « pourquoi as-tu peint ce tableau ? c’est parce que j’ai perdu ma mère à 2 ans »… t’es là genre ah, puis tout le monde verse une larme.
J’ai eu des trucs vraiment bourrins dans ma vie mais j’ai pas envie de dire que l’album là, c’est quand j’ai perdu mon frère et l’album d’après, c’est quand j’ai eu ma fille… même si c’est forcément lié, tu te nourris forcément de ta vie.
x C’est un bon album?
G : Je pense qu’il sera bien ouais !
x Votre façon de jouer de la musique, le côté un peu tribal, la recherche d’une certaine transe, est ce que c’est toujours quelque chose que vous recherchez et ça vient de quoi ?
G : Je crois qu’un bon disque de rock ou un bon live de rock, c’est celui qui va te foutre une claque.
Tu as plusieurs manières de le faire mais celle qui nous plait, à tous les trois, c’est effectivement ce côté tribal et hypnotique que j’ai trouvé quand j’étais tout seul, dans le blues.
J’adore ces morceaux de blues ultra simples où tu as trois ou quatre accords et ça tourne et ça tourne et puis tout le monde se met à danser et puis le gars il est là, il raconte son texte qui est assez court mais il va le répéter plein de fois puis ça se met en rang tout doucement et ça fait cet effet là…
Et la musique tribale, la musique psyché, le krautrock tout ça, sont des choses qui permettent tout ça aussi donc on y est venu naturellement parce qu’on aime ce côté où tu tripes devant la musique.
C’est peut être aussi car on est des mauvais danseurs et que du coup, on ne sait pas danser le rock and roll, le coté twist etc… On ne sait pas faire danser les gens donc l’autre manière qu’on a de les faire bouger c’est en leur foutant une transe dans la gueule. (rires). C’est peut-être ça, j’en sais rien mais c’est comme ça que j’aime la musique. C’est ce que ça me fait quand j’écoute le Velvet, les Spacemen 3, Neu, Can ou des trucs dans le genre…
x Ce côté tribal, on le retrouve aussi par rapport à vos pochettes…
G : J’aime beaucoup l’art brut. J’aime beaucoup les trucs assez naïfs et j’avais une période, surtout à l’époque de OK Judge Revival, où je m’étais acheté un bouquin sur l'art du Mithila (qui est une région en Inde). Ce sont des femmes qui font ça, sur des rouleaux, elles dessinent et font toutes ces frises ultra répétitives et florales. Et il y a toujours des animaux, des divinités…
Il y a un impact visuel super efficace, direct, au niveau du graphisme et des couleurs et puis il y a toujours ces petits motifs répétitifs qui reviennent, qui reviennent…
C’est un peu comme notre musique aussi. Tu choisis un motif que tu vas répéter plein de fois. Il y a un aspect séducteur de prime abord et puis si tu rentres dedans, tu vas arriver dans les détails, faire attention au grain, du son, du clavier, aux effets…
x Est ce que tu peux me parler un peu de ce que tu aimes au niveau cinématographique, et qui peut être lié à votre univers visuel / imagerie ?
G : Ben c’est sur que notre génération a été vachement influencée par Lynch.
On s’est tous pris une claque dans la gueule quand on a vu au cinéma Lost Highway, Mulholland Drive… et qu’on a découvert les plus vieux comme Twin Peaks, Blue Velvet, et Eraserhead aussi, forcément.
Donc ouais ça nous a marqué.
Et ce qui est cool avec lui c’est qu’il inclut la musique dans ses films et de manière classe. Quand il mettait un morceau de rock, il n’était pas là au hasard, pas pour meubler, ça avait vraiment du sens. Il choisissait toujours les supers bons morceaux.
Et quand tu allais voir ses films en salles, tu avais autant l’image que le son qui te prenaient au corps. Il y a vraiment un aspect corporel, intellectuel bien sur, mais aussi corporel quand tu vas voir ses films. Ce que tu peux ressentir quand tu vas voir un concert de rock.
x Quand j’imagine FOL, c’est très rouge par exemple.
G : Il y a cette image des rideaux dans Twin Peaks avec le motif sur le sol dans la red room, c’est super beau… Et Julee Cruise, quand tu la vois chanter sur scène... Enfin voilà, cette scène là est magnifique.
x Je reviens sur le blues et tes influences par rapport à ça. Est ce que la musique noire est vraiment quelque chose qui fait partie de ton bagage ?
G : Et bien je pense qu’à partir du moment où tu t’intéresses au rock and roll, tu es obligé de passer par là.
Il y a cette idée commune que tout vient du blues. C’est un peu cliché de dire ça mais je pense que ce n’est pas faux non plus.
Après, c’est très intéressant de lire les bouquins de Nick Toshes où il démystifie un peu la chose.
Il parle vraiment du lien entre la musique blanche et la musique noire, de comment chacun s’est influencé et est allé piocher chez l’autre. Il y a aussi l’aspect commercial de la chose car il n’y avait pas que le côté artistique mais aussi le: « les gars faut qu’on bouffe, va falloir aller jouer, va falloir qu’on aille faire danser les gens ».
Les noirs devaient aller faire danser les blancs car ceux-ci avaient le pognon et les blancs devaient mettre un peu de touche noire dans leur musique pour avoir l’air un peu plus authentique…
Bon, le blues, j’en écoute moins maintenant mais à une époque j’en écoutais énormément, notamment au moment où le label Fat Possum commençait à rééditer et réenregistrer tous ces vieux mecs du Delta qui étaient encore vivants.
J’ai beaucoup écouté ça et aussi les trucs plus vieux comme Skip James, Son House, Blind Willie Johnson. Mais j’ai toujours préféré les mecs qui avaient le son le plus épuré possible. J’aime moins quand c’est en groupe. Je préfère quand c’est juste une voix et une guitare, ou alors quand ça reste vraiment sec.
Je préfère aussi en général quand ils ont des petites voix fluettes, comme Skip James ou Blind Willie Mctell. Ils ont presque des voix de filles parfois. J’aime pas trop quand c’est vraiment gros blues « couillu » comme le son Muddy Waters, avec à blinde de disto…
x Et les trucs plus rock and roll comme Ike Turner par exemple ?
G : Ah Ike Turner c’est vrai que c’est cool aussi, et puis effectivement les grosses voix, Howlin’ Wolf, il défonce. Blind Willie Johnson aussi a une grosse voix. Disons que j’aime le blues quand ça reste tendu, léger. J’aime pas le gros blues où ils font genre « Hey baby, j’suis un mâle » enfin ils le disent tous (rires) mais j’aime bien quand ils disent « j’suis un mâle mais j’suis un peu un pédé aussi » même si les thèmes de l’homosexualité sont pas trop abordés là dedans. J’aime bien quand il y a une fragilité.
x Vous faites partie de ces groupes qui sont assez curieux, pas unilatéraux dans les goûts. Du classique par exemple, ça peut être de la musique que tu écoutes ?
G : Oui, j’en ai pas mal écouté. Mon frère était un gros fan de classique, c’est surtout lui qui me faisait découvrir des trucs. Ma mère en écoutait aussi beaucoup donc j’ai commencé par une période de rejet étant gamin, quand elle écoutait ça à blinde. J’étais là « putain maman arrête c’est chiant » et au fur et à mesure on s’est mis dedans.
Je saurais pas trop quoi te citer comme nom car je suis pas très pointu là dessus mais j’aime les trucs qui prennent au corps, au cœur et assez romantiques. Mais il y a beaucoup de choses, chez chaque compositeur. Je vais pouvoir te dire j’aime bien ce gars là mais en même temps j’ai écouté quoi, 2 trucs de lui ?
Et puis il y a certaines choses que je ne comprends pas en classique. Par exemple je vais écouter le début d’une symphonie, et tout d’un coup ils vont partir dans un truc, et là je vais pas comprendre pourquoi, comment ils structurent ça… alors que pour un morceau de rock je comprends, pourquoi, qui fait quoi. La musique classique, ça me perd… et c’est super intéressant.
x Dans votre univers, on retrouve aussi beaucoup le thème des 90’s, dans vos pochettes etc… ça m’évoque aussi une époque de frustration. C’est quelque chose auquel tu repenses avec plaisir ou pas ?
G : C’est une période de frustration car c’est lié à l’adolescence. Forcément c’est un moment où tu vas t’en prendre plein la gueule, tu vas te ramasser les dents par terre, tu vas te construire aussi par rapport à tes échecs.
En fait, j’ai toujours une période de digestion et je vais toujours me mettre à parler de choses qui se sont passées avant.
Pourquoi je suis resté bloqué sur cette période là ? Je ne sais pas exactement.
Ça vient aussi de mon travail que j’ai effectué quand j’étais en Arts Plastiques et donc j’ai repris les deux figures emblématiques des années 90 qui pour moi, et pour beaucoup de français je pense, étaient Kurt Cobain et Michael Jordan. C’est un peu comme les gens plus vieux qui pouvaient avoir les Beatles et les Stones. Nous on a eu Nirvana et les Chicago Bulls. Donc je ne sais pas, c’est une espèce de matériau primaire sur lequel tu peux encore revenir, aller chercher des trucs, développer…
x Vous avez une relation spéciale avec les US où vous avez tourné plusieurs fois et notamment dernièrement avec White Fence, Mikal Cronin, Ty Segall... Vous êtes perçus comment et vous le percevez comment?
G : C’est simple et compliqué. C’est simple car c’est pareil qu’en Europe car c’est juste des groupes de rock qui jouent, qui galèrent ou qui parfois ont l’opportunité d’avoir de meilleurs plans.
Ty Segall a réussi à sortir un peu de ce petit réseau garage et maintenant il touche un public plus large. Pour les gens qui s’y connaissent par exemple, des blogs comme Terminal Boredom ou des fanzines dans le même genre, il n’y a pas de soucis, on fait partie de la même scène, ils nous connaissent depuis des années, ils ont chroniqué FOL dès le 1er 45 tours.
Après effectivement quand on a fait des plus grosses salles à San Francisco ou Los Angeles, y’avait plein de gens qui n’avaient jamais entendu parler de nous et qui ont bien aimé. Donc c’est cool, c’est pour ça que tu tournes, c’est aussi pour voyager, pour découvrir ...
On a cette chance même si ça peut être un handicap aussi, de ne pas être un groupe uniquement franco-français. La plupart des groupes français qui marchent et se font de la thune et qui sont intermittents avec leur musique, et bien finalement ils tournent essentiellement en France. Alors nous on est moins connus, on se fait moins de blé, mais au moins on joue partout. Je trouve ça plus cool. Même pour jouer dans des bars (rires).
x C’est quoi ton sentiment d’amour ?
G : Au niveau conceptuel ? (rires) L’amour est une quête infinie ? L’amour est un travail du quotidien ! (rires). Je ne sais pas quoi dire là-dessus car en fait je suis assez nul en amour donc je suis piètre conseiller. Mais comme je suis papa depuis pas longtemps j’ai découvert une nouvelle forme d’amour et qui est, putain, assez forte. J’ai l’impression de sortir des clichés mais c’est ultra puissant. (rires)
x Donc c’est un bon choix de nom The Feeling Of Love ?
G : Ouais je me dis au fur et à mesure du temps qu’on a pas si mal choisi que ça… (rires).
- The Feeling Of Love - Nouvel album "Reward Your Grace" (Born Bad Records), sortie mars/avril 2013
- Discographie à choper et écouter par ici
- Lien FB, Twitter
- Prochains concerts:
Jan 26th @ Mo'fo' Festival in Paris (w/ Holograms, Datsuns etc...)
Feb 2d @ Gazteszena in San Sebastian w/ Veronica Falls
Feb 9th @ La Carène in Brest w/ Frustration
Feb 16th @ La Route Du Rock Hiver in St Malo (w/ John Cale, etc...)
March 1st @ La Bobine in Grenoble
B / FGC, merci à JL
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